L'Afrique ne vous demande pas votre pitié, elle vous invite à sa table
Pourquoi la gastronomie africaine est la révolution culinaire que vous ignorez encore
Arrêtons tout de suite avec les violons. Non, cet article ne parlera pas de "famine", de "malnutrition" ou de photos en noir et blanc d'enfants aux ventres gonflés. Si c'est ce que vous cherchez, vous vous êtes trompé d'adresse. Ici, on parle de ce que l'Afrique fait de mieux : nourrir le corps, l'esprit et l'âme avec une sophistication culinaire que le reste du monde commence à peine à reconnaître.
Pendant que le monde occidental se congratule d'avoir "découvert" le quinoa péruvien et le kombucha japonais, l'Afrique cuisine tranquillement depuis des millénaires avec du fonio, du teff, du moringa et des centaines d'ingrédients que vos influenceurs food vont s'approprier dans cinq ans en les rebaptisant "superfoods".
La gastronomie africaine n'est pas monolithique (et c'est votre première leçon)
Dire "la cuisine africaine" comme s'il s'agissait d'une entité homogène, c'est comme parler de "la cuisine européenne" en mettant dans le même panier les tapas espagnoles et le smørrebrød danois. L'Afrique, ce sont 54 pays, des milliers d'ethnies, une géographie qui va du désert aux forêts tropicales, et une histoire culinaire qui commence bien avant que quiconque en Europe ne sache ce qu'était une fourchette.
Au Sénégal, le thiéboudienne n'est pas un "riz au poisson". C'est un plat complexe où chaque légume est ajouté à un moment précis, où le riz caramélise au fond de la marmite pour créer le xoon tant recherché, où le poisson est farci d'un rof qui demande des heures de préparation. C'est de la haute gastronomie, point final.
En Éthiopie, l'injera n'est pas une "crêpe bizarre". C'est le résultat d'une fermentation de trois jours du teff, une céréale cultivée depuis 6000 ans, qui crée une texture spongieuse unique et une acidité qui équilibre parfaitement les wots épicés. Les Éthiopiens mangeaient avec des probiotiques avant que ce mot n'existe dans votre vocabulaire wellness.
Ce que l'Afrique vous a déjà donné (sans que vous ne disiez merci)
Le café que vous sirotez en lisant cet article ? Né en Éthiopie. Le gombo dans votre soupe louisianaise ? Importé d'Afrique de l'Ouest. La pastèque dans votre salade d'été ? Originaire d'Afrique. Le sésame sur votre burger artisanal à 18 euros ? Afrique. La noix de cola dans votre Coca-Cola ? Devinez.
Mais surtout, l'Afrique vous a donné quelque chose que vos restaurants étoilés essaient désespérément de recréer : l'art de la convivialité, du partage, du repas comme cérémonie sociale. Pendant que vous mangez seul devant Netflix, quelque part en Afrique, des familles entières se rassemblent autour d'un plat commun, les mains plongent ensemble dans le thiébou jen ou le attieke, et la nourriture n'est pas juste de la nutrition, c'est du lien social.
Les chefs africains ne veulent pas votre validation
Il y a quelque chose d'ironiquement comique à voir des chefs africains recevoir des étoiles Michelin ou gagner des compétitions internationales, et soudain, tout le monde s'extasie : "Oh, mais la cuisine africaine est incroyable !" Vous croyez vraiment que les grand-mères ouest-africaines attendaient l'approbation d'un guide français pour savoir qu'elles cuisinaient divinement ?
Pierre Thiam, Selassie Atadika, Fatmata Binta, Alexander Smalls... Ces chefs ne "modernisent" pas la cuisine africaine. Ils la présentent au monde tel qu'elle a toujours été : complexe, technique, raffinée. La seule chose qui a changé, c'est que maintenant, vous êtes prêts à écouter.
L'expérience gastronomique africaine que personne ne vous montre
Oubliez les safaris et les "authentiques villages". Voici ce que vous devriez vraiment découvrir :
À Lagos, les buka (restaurants de rue) où les femmes yoruba préparent des soupes ogbono si parfaitement liées qu'elles défient les lois de la physique, où le pounded yam est pilé à la main avec une synchronisation qui ferait pleurer un chef pâtissier.
À Marrakech, au-delà des tajines touristiques, les véritables tangia mijotées pendant huit heures dans les cendres du hammam, les pastillas au pigeon où cinquante feuilles de warqa créent une architecture de croustillant et de fondant.
À Abidjan, les maquis où l'attiéké est servi avec du poisson braisé tellement frais qu'il a nagé le matin même, accompagné d'une sauce claire qui marie tomate, oignon et piment avec une élégance que peu de sauces au monde peuvent égaler.
À Accra, le waakye du matin avec ses accompagnements multiples – spaghetti, gari, plantain frit, œuf, viande, sauce piquante – une composition qui respecte l'équilibre des saveurs, textures et températures avec une précision japonaise.
Pourquoi vous devez arrêter de voyager en Afrique pour "aider"
Voici une idée révolutionnaire : et si vous veniez en Afrique comme touriste gastronomique ? Pas comme volontaire, pas comme sauveur, mais comme quelqu'un qui reconnaît humblement qu'il a quelque chose à apprendre.
Venez pour manger le meilleur thiéboudienne de votre vie à Saint-Louis. Venez pour comprendre pourquoi le kitfo éthiopien, cette viande crue épicée, demande autant de technique que le tartare de votre bistrot parisien. Venez pour découvrir que le mafé sénégalais est une sauce d'arachide si subtile et complexe qu'elle met à genoux vos meilleurs chefs français.
Venez pour réaliser que la "street food" africaine a autant de légitimité gastronomique que vos food trucks hipster, sauf qu'elle existe depuis des générations et qu'elle nourrit des millions de personnes quotidiennement avec goût, dignité et créativité.
L'Afrique n'attend pas votre reconnaissance
Voilà la vérité inconfortable : l'Afrique continuera de manger divinement, que vous le remarquiez ou non. Les marchés continueront de déborder de produits frais, les grand-mères continueront de transmettre des recettes ancestrales, les innovations culinaires continueront d'émerger.
La question n'est pas de savoir si la cuisine africaine est "à la hauteur" de vos standards internationaux. La question est : êtes-vous prêt à remettre en question vos propres standards ? Êtes-vous capable de reconnaître que peut-être, juste peut-être, vous avez manqué quelque chose d'extraordinaire parce que vous ne regardiez pas au bon endroit ?
Une dernière chose
La prochaine fois que vous verrez un article sur "les cuisines à découvrir", "les destinations food de l'année" ou "les nouvelles tendances culinaires" qui omet l'Afrique ou la relègue à une ligne en bas de page, posez-vous la question : est-ce que c'est l'Afrique qui manque de sophistication culinaire, ou est-ce votre regard qui manque de profondeur ?
L'Afrique ne vous demande pas votre pitié. Elle vous invite à sa table. À vous de décider si vous êtes assez curieux, assez humble, et assez intelligent pour accepter l'invitation.
Karibu. Marhaba. Akwaaba. Bienvenue.
Parce qu'il est temps de découvrir l'Afrique non pas à travers le prisme de la charité, mais à travers le prisme de l'excellence. Et ça commence dans une assiette.
À propos de l'auteur

A.Robinson
Alain Robinson est un chef de projet multimédia, orienté solutions digitales et e-commerce, impliqué dans la gestion de projets web et la création de boutiques en ligne
